Chapitre I : Le programme

 

Le programme 

 

 

Sobriété (modération, tempérance, simplicité)

 

 

Jeûne - silence - repos

 

Lire la bible - méditer - contempler

 

Rendre grâce - Louer - Bénir

 

 

Le Notre Père 

 

La prière de Jésus

 

 

 


La sobriété sert de mesure dans laquelle il faut aborder ce programme.

Le jeûne est une tension que l'on peut suivre en permanence ou bien que l'on peut s'imposer à des moments précis, ou pour des occasions données.

Pour ce qui concerne le silence, le repos, la lecture de la bible, la méditation, la contemplation, l'action de grâce et la louange on peut décider de s'accorder tous les jours un temps défini (même si assez vite, le silence va vouloir s'installer sous forme de tension, comme le jeûne), aussi long ou court soit-il. Ce qui importe avant tout est la régularité et la permanence de l'exercice.

La bénédiction a un caractère circonstanciel. On ne peut provoquer une situation propre à la bénédiction. Malgré ce caractère circonstanciel on peut bénir des moments, des situations, des circonstances au cours d'une journée. On peut bénir son repas, tout comme on peut bénir une journée au réveil ou bien bénir sa nuit au coucher.

Il ne peut y avoir de vie intérieure sans la découverte profonde de notre filiation d'avec Dieu, ainsi que toutes les autres créatures. Il n'y a pas de vie intérieure véritable sans la vivification de la conscience de la vocation de l'homme à collaborer à l'œuvre divine. La prière à Notre Père est la prière la plus vivifiante à cet effet. Elle est incontournable.

 


La sobriété avant toute chose

 

...comme il est écrit au livre des paroles d'Isaïe le prophète : Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers ; tout ravin sera comblé, et toute montagne ou colline sera abaissée ; les passages tortueux deviendront droits et les chemins raboteux seront nivelés. Et toute chair verra le salut de Dieu. Luc III, 4-6

Les quatre évangiles abordent en leur commencement le personnage de Jean le Baptiste qui est la voix qui crie dans le désert : « aplanissez les chemins du Seigneur ! » actualisant les paroles prophétiques d'Isaïe : dans les steppes aplanissez une route pour notre Dieu. Is. XL, 3, annonçant et préparant la venue imminente du Messie. Si Jean Baptiste précède le Christ c'est parce qu'une préparation est nécessaire pour Le recevoir. Au cours de la messe, nous même nous disons lors de la procession des saints dons : que toute chair humaine fasse silence et se tienne dans la crainte et le tremblement, qu'elle éloigne toutes pensée terrestre en vue de recevoir parmi nous et en nous le corps et le sang du Christ. De même avant de chanter l'évangile, le diacre appelle les âmes à une certaine tenue et les invite au silence : debout soyons attentifs, en silence écoutons le Saint Évangile, pour préparer les fidèles à la réception de la parole. Ainsi Saint Jean Baptiste, comme un diacre de notre église contemporaine annonce une attitude spirituelle conditionnant la réception des paroles et de la présence du Christ. Si Dieu envoie aux hommes celui qui est le plus grand parmi les hommes, car c'est ainsi que Jésus Christ désigne Jean, c'est que cette mission est d'importance. C'est bien que la préparation personnelle est une nécessité à la vie spirituelle. Si Dieu nous fait don de son meilleur ouvrier c'est pour préparer l'humanité à sa plus grande œuvre. Jean porte cette dimension angélique en lui qui rappelle aux hommes leurs limites à une vie oisive et les invite vivement à participer et à collaborer à l'œuvre de justice divine. Sa voix résonne comme une trompette angélique, pour crier à l'humanité la nécessité de concourir à cette œuvre qui est sienne.

Pour participer au mieux à cette œuvre, nous devons nous demander quelle est cette nécessité ? Par les paroles de Jean, par les instructions qu'il laisse à ses disciples et aux foules qu'il harangue nous comprenons quelle attitude prédispose, entre toutes, à la mise en route sur le chemin spirituel : aplanissez dit Jean. Rendez plat. Moins de hauts et de bas. Rendez droit, moins de sinuosités. Une âme modérée qui connaît le moins de chaos et de détours possibles. Et pour parvenir au moins, Jean combat le Plus, le trop.

 

Aux foules qui l'interrogent Jean apporte des réponses presque déconcertantes de simplicité :

" ...tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu. "

Et les foules l'interrogeaient, en disant : " Que nous faut-il donc faire ? "

Il leur répondait : " Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n'en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même. " (Celui qui a plus ou trop, qu’il partage)

Des publicains aussi vinrent se faire baptiser et lui dirent : " Maître, que nous faut-il faire ? "

Il leur dit : " N'exigez rien au-delà de ce qui vous est prescrit. " (n’exigez pas plus, n’exigez pas trop)

Des soldats aussi l'interrogeaient, en disant : " Et nous, que nous faut-il faire ?"

Il leur dit : " Ne molestez personne, n'extorquez rien, et contentez-vous de votre solde. " (n’en faites pas trop, n’attendez pas plus)  Luc III, 9-14

 

La modération pour ce qui pénètre et nourrit la personne, la tempérance pour ce qui en émane et communique, et la simplicité pour ce qu'il en est (de la personne) garantissent l'aplanissement du chemin de l'âme vers le Seigneur. Modération, tempérance et simplicité sont les clés qui ouvrent grandes les portes de la vie intérieure. Ce sont des préalables.

Ne nous appliquons pas trop vite à imiter les saints... Avancez sans précipitation. La vie spirituelle grandit comme une plante, organiquement. Prenons le chemin moyen, et n'oublions pas la base : la sobriété. Saint Jean de Saint Denis, Septuagésime. La sobriété ici désignée par l'évêque Jean renferme cette triade : modération, sobriété, simplicité.

Une fois la triade modération, tempérance, simplicité posée comme préalable à toute vie spirituelle, il convient de poser deux principes.

Un premier principe à ne jamais oublier : face à la tentation nous ne sommes capables que d'engager un combat spirituel, mais certainement pas de le remporter.

 

 

Un seul est vainqueur : Jésus-Christ Qui a toute la faveur de Notre Père. Aussi faut-il L'appeler sans cesse à notre secours, car toujours nous serons vaincus si nous ne L'appelons pas. Sachons par contre, qu'Il aime nous donner de la force dans son effacement, dans son retrait. Il aime Se faire oublier pour nous regarder nous engager dans la bataille. Il aime être témoin d'un beau combat animé d'une belle volonté de lutte... mais non pas de victoire.

Ce principe posé, il est un deuxième principe qu'il ne faut surtout pas oublier alors qu'on entre dans la vie spirituelle : l'Esprit-Saint complète, continue, accomplit, justifie toute action spirituelle entamée, toute tension spirituelle véritable, toute intention parfois. A peine nous mettons-nous en marche : Il vient. Et Sa rencontre complète, accomplit admirablement nos actions spirituelles à peine ébauchées parfois en nous.

 

 

 

 

 


Jeûne, repos, silence

 

 

 

Ces 3 pratiques portent en germe : renoncement, dépouillement, effacement, libèrent de l'aliénation de nature passionnelle et s'opposent aux passions qui dominent l'humanité dans la tentation, sans détruire en la personne le désir. (C'est un des points de divergence d'avec les spiritualités orientales et notamment bouddhistes, pour lesquels la quête du Nirvana se fait par l'abandon du désir, et donc l'abandon de la personne).

Souvenons-nous d'Ève devant le fruit interdit. Elle succombe à la tentation mue par trois désirs qui la dominent et deviennent ses passions. Les écritures expriment, en parlant du fruit, le désir de jouissance, de possession et de domination qui animent Ève et la font entrer dans le péché. La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. Gen. III, 6. Ces désirs sont en l'homme. Ils ne sont pas que ceux d'Ève. Ils sont ceux de toute humanité. Et toute humanité, dont le péché est né dans ces passions, doit prendre en considération le danger spirituel que constitue la transformation de ces désirs en passions et l'aliénation spirituelle qui s'ensuit. La question ici qui se pose alors est : Où peut-on définir qu'un désir devient une passion ? Nous donnerons comme réponse simple : le désir demeure dans la réception, la passion naît dans la quête. Le désir demeure dans l'attente de celui qui peut le nourrir. La passion s'agite dans la quête de l'objet même du désir. Autrement dit, dans le désir l'humanité attend quelqu'un. Dans la passion elle attend quelque chose.

Ainsi le combat contre la passion des plaisirs s'engage dans l'attente et/ou la réception de Celui Qui vient (Qui est une personne et non pas un objet), dispensateurs des biens et donateur de Vie, Qui fait abonder grâces sur grâces jusqu'à l'extase, en renonçant à ce qui procure un plaisir instantanée, soit, mais aussi vite dissipé.

Ainsi le combat contre la passion de possession s'engage dans l'attente et/ou la réception de Celui Qui vient et Qui remplit tout, en se dépouillant de CE qui n'est pas Lui.

Ainsi le combat contre la passion de domination s'engage dans l'attente et/ou la réception de Celui Qui est Puissant et Qui peut tout, en s'effaçant devant Son Règne qu'Il nous a promis en partage, abandonnant CE pouvoir qui est mien de dominer tout et tous.

 

A ce stade d'ailleurs, n'appelons pas encore cela un combat, mais une tension. C'est une attitude qu'il faut garder.

Ici il faut souligner que dans l'approfondissement de la connaissance des passions et des désirs nous venons aborder d'une part la personne d'Ève, la mère et la femme, et d'autre part la notion d'attente et de réception. L'une et l'autre sont étroitement liées à l'origine et à l'avenir de l'humanité. Nous ne devons pas passer à côté de ce que l'église nous enseigne sur ce sujet. L'avenir de l'humanité est féminin. L'humanité est comparée dans les évangiles à une épouse qui attend son époux, qui l'espère même. Cette humanité s'accomplit en une femme, LA femme, que Jésus Lui-même appelle « femme », car elle est femme accomplie : la Très Sainte et Toute Pure Marie Mère de Dieu et Vierge. Elle a nourri en elle le désir de Dieu seul. L'épouse, dans son attente de l'époux, cultive le désir qu'elle a de lui. C'est aussi le sens de la parabole des dix vierges (Matthieu XXV, 1-13). Les cinq vierges sages s'économisent dans l'espérance ardente d'un époux dispensateur de plaisir, de biens et de puissance. Les cinq vierges folles se dépensent dans l'attente fébrile des plaisirs, des biens et des honneurs conférés par les fiançailles auprès d'un époux. Les unes désirent l'époux, les autres veulent les avantages des fiançailles.

La divinisation de l'humanité se fera dans l'attente de Dieu. Mais non pas une attente passive, non ! Une attente active, ardente dans le désir de Sa venue. L'attente d'une femme avide de son époux, mais qui ne domine pas sur lui, elle ne va pas au devant de lui et de ce qu'il peut lui apporter, elle attend qu'il vienne et qu’il donne. Et cela, c'est bien la pénitence que Dieu donne à Ève pour le salut de l'humanité, alors qu'elle a succombé au péché, dominée par ses passions. Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi. Gen. III, 16. C'est la voie de la METANOÏA de l'humanité non par la femme, mais par la féminisation.

La pénitence accordée à Adam, le tempérament masculin de l'homme, est accomplie entièrement et pleinement en Jésus. Le cultiver et le garder attend Dieu de l'homme alors qu'il l'installe au sein du jardin d'Éden. Or, à sa résurrection, alors qu'il apparaît à Marie-Madeleine, celle-ci, pourtant si habituée à la présence de Jésus Christ, le confond avec le jardinier. Ce n'est pas anodin. C'est parce qu'Il a accompli cette parole : cultive et garde le jardin ! Il est ce jardinier qui cultive et garde ce jardin. Il est l'homme, Il est l'époux. A l'humanité à présent, par l'église, de devenir cette épouse à l'imitation de la Très Sainte Marie Mère de Dieu et Vierge.

Soyons conscients et convaincus ici de la richesse presque insondable contenue dans ces trois mots : renoncement, dépouillement, effacement, et de la primalité des pratiques qui leur sont attachées au titre de l'éveil spirituel : jeûne, repos, silence.

Ainsi :

Renoncement par le jeûne s'oppose et lutte contre la passion nourrie par l'esprit de jouissance, sans détruire en la personne le désir de jouissance qui est source de joie.

Dépouillement par le repos s'oppose et lutte contre la passion nourrie par l'esprit de possession, sans détruire en la personne le désir de possession qui est source de plénitude.

Effacement par l'exercice du silence (ou humilité, si nous préférons parler d'effacement c'est parce que nous cherchons à déterminer des attitudes, et non pas des vertus) s'oppose et lutte contre la passion nourrie par l'esprit de domination, sans détruire en la personne le désir de domination qui est source de puissance.

 

Dans ce cadre le jeûne est envisagé comme une pratique qui vient soutenir la personne dans le chemin du renoncement. Renoncement à la quête de jouissance. Attention. Renoncement non pas à la jouissance ou à la joie procurée par l'extase quelle qu'elle soit, mais renoncement à la quête de jouissance ou de joie.

La sobriété constituant la lumière qui éclaire les pratiques de vie spirituelle, le jeûne préconisé ici s'apparente à une attitude d'abstention de (comme retenue), et non pas d'abstinence de (comme exclusion).

Dans ce cadre le silence est envisagé comme une pratique qui vient soutenir la personne dans le chemin de l'effacement. Il s'agit ici du silence extérieur, et intérieur de surcroît. En quoi le silence peut-il convaincre l'homme d'humilité (effacement) ? Parce que dans le silence se tiennent les paroles non exprimées de Dieu. Dans le silence se tient tout ce qui n'est pas exprimé par Dieu dans la parole, tout ce qui est antérieur et préexistant à la création. Dans le silence émane la Kénose de Dieu, sans laquelle la création même n'aurait pas de lieu d'existence et serait détruite, ainsi que Son amour incroyable pour l'homme. Un amour infiniment grand qui fait ressentir Dieu aussi infiniment grand. Dans le silence, toute prétention humaine se tait. Et la crainte de Dieu s'installe au cœur de l'homme. Mais ce silence dont il est question ici n'est pas un don naturel (la nature étant définie ici comme : la création dans le péché). Ce silence s'acquière avec l'aide de Dieu et une tension constante vers un mutisme volontaire devant Dieu et devant les hommes. L'attitude est la suivante : puisque je suis vain, mes paroles sont vaines. Et puisque je suis né dans le péché engendré par le mensonge, mes paroles sont mensonges. Si je ne communique pas ma vanité et mes mensonges, c'est au moins un acte de justice que je peux accomplir dans le monde. Donc je vais me taire. Se considérer vain et menteur humilie avantageusement le cœur de l'homme. Devant le discours ou les actes d'autrui, je peux être amené à intervenir, à prendre la parole, ou encore à entamer un dialogue fictif, parce que non exprimé, mais bien réel en moi. Face à cette situation je peux aussi aborder une attitude soutenue par un des commandements du Christ : ne jugez pas, ou bien ne tenez pas tête au méchant, ou encore ne maudissez pas. Je soutiens mon silence, ou plus exactement ma tension vers le mutisme, car, c'est dans cette tension que l'Esprit Saint viendra et accomplira le silence en moi.

Mais le chemin est long. En effet le silence intérieur est le fruit d'un cheminement, d’une lutte. Pour l'instant tâchons déjà de comprendre que le silence extérieur désarme celui qui se tait face à l'adversité. Ne pas répondre est humiliant, ne pas chercher à répondre est humilité. S'effacer c'est laisser les autres personnes dire. Les laisser dire à notre place parfois, et à l'encontre même de nos convictions ou de la vérité que nous connaissons. Le fruit de la victoire dans cette longue lutte sera la contemplation, le discernement et la confusion des esprits.

Ce qui importe à Dieu c’est de délivrer l’humanité du mal. A cet effet, ce qui convient à son œuvre c'est de confondre les esprits. Les confondre afin de mieux les séparer. L'évangéliste, le témoin, le disciple qui exprime le mieux la nécessité de la confusion des esprits et du discernement c'est Saint Jean. Saint Jean qui demeure silencieux, la tête posée sur l'épaule de Jésus-Christ. Celui-là qui demeure dans le silence au sein du Christ.

" En vérité, en vérité, je vous le dis, l'un de vous me livrera. "

Les disciples se regardaient les uns les autres, ne sachant de qui il parlait. Un de ses disciples, celui que Jésus aimait, se trouvait à table tout contre Jésus. Simon-Pierre lui fait signe et lui dit : " Demande quel est celui dont il parle. "

Celui-ci se penchant alors vers la poitrine de Jésus, lui dit : " Seigneur, qui est-ce ? "

Jésus répond : " C'est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper. " Trempant alors la bouchée, il la prend et la donne à Judas, fils de Simon Iscariote.

Après la bouchée, alors Satan entra en lui. Jésus lui dit donc : " Ce que tu fais, fais-le vite. " Jean XIII, 21-27

Pierre qui est le porte-parole en quelque sorte des disciples, qui est celui qui parle, ne demande pas directement à Jésus. Il sait qu'il ne comprendrait pas la réponse. Seul Jean, qui cultive le silence peut connaitre la réponse que Jésus va apporter. Seul Jean est témoin de l'entrée de Satan en Judas. Car celui qui pratique le silence peut contempler Dieu aussi bien que ce que Dieu contemple. Et lorsque nous chantons : Tu es béni, toi dont le regard pénètre les abîmes..., nous comprenons par quels yeux Jean est témoin de la scène. Encore une fois, pour en arriver à ce niveau de contemplation qui n'est plus la contemplation de ce que je peux ou de ce que je veux voir, mais la contemplation de ce que l'on me donne à voir en partage, il faut bannir de soi tout esprit de domination. C'est cet esprit que l'exercice du silence amoindrit.

Parlons donc ici, dans un premier temps de se taire, de ne pas entretenir de dialogue intérieur, pas même avec Dieu pour le moment. Nous verrons plus tard, comment faire taire même les pensées, par l'exercice de la pensée unique, la prière du cœur.

Donc, parlons ici du silence comme d'une tension vers le mutisme, et non pas encore comme d'une tension muette vers Dieu.

Dans ce cadre le repos est envisagé comme une pratique qui vient soutenir la personne dans le chemin du dépouillement. C'est un jeûne de ce qui n'est pas alimentaire. Le repos constitue ici un retrait des actions personnelles et des activités sociales, culturelles ou/et intellectuelles. Autorisant un moment de vie sans relation avec ce que l'homme peut exprimer ou faire. S'extraire des flots d'actions et d'informations en tous genres, scientifiques, juridiques, sociales, artistiques ou sportives. S'aménager un havre exempt de toute activité humaine. Se dépouiller ici de ce que nous tenons à élucider, à conquérir ou à acquérir dans le monde ou/et de ce que nous tenons comme certain, conquis ou acquis et de ce que notre humanité semble posséder sur toutes les autres espèces. Semble seulement, car, sur les espèces, oui, nous possédons.

Mais dès que nous regardons autrement, et, que nous examinons la situation non plus en termes d'espèces mais en termes de créatures, nous pouvons réaliser que nous ne possédons rien de plus que les autres. Nous ne possédons qu'une seule chose, et commune avec les autres créatures : nous partageons le même créateur, la même condition de péché, et une même fin : l'élévation.

On pourrait dire : si ! Nous possédons quelque chose de plus que les autres créatures. Nous sommes rois, prêtres et prophètes. Nous sommes rois, mais nous ne possédons pas la royauté. Nous sommes prêtres, mais notre prêtrise n'est que le reflet de la prêtrise de Celui Qui Est le seul vrai prêtre. Nous sommes prophètes, mais nous ne possédons ni le lieu, ni l'heure, ni le sens des paroles que nous prononçons.

En vérité nous sommes possesseurs de quelque chose de plus que les autres créatures, nous hommes : l'esprit. Et avec lui nous possédons la capacité de contenir l'Esprit Saint. Tel est d'ailleurs le sens de notre vie d'homme. Mais si nous ne partons pas à la conquête de l'esprit, nous ne pourrons jamais prétendre posséder plus que les autres créatures. Si nous ne répondons en rien à notre élection, nous continuons de vivre comme des bannis de l'Éden, partageant la même condition que les autres créatures.

Nous venons de faire le tour de la sphère vers laquelle nous entraîne une réflexion sur le repos et le dépouillement. Et cependant, nous ne semblons pas encore avoir abordé la notion de dépouillement sous son aspect matériel. Et pourtant si, nous l'avons abordé. En effet, la possession de biens matériels ne fait que conforter nos certitudes. Elle semble apporter la sécurité, de même que la possession d'une certitude semble apporter la sûreté. C'est pourquoi l'homme court aussi bien après les biens matériels qu'après toute information sûre concernant son propre avenir, qu'il s'agisse de la météo ou des pratiques divinatoires. Mais qu'il s'agisse des biens matériels ou bien des certitudes humaines, il convient de ne pas s'appuyer dessus, car les uns aussi bien que les autres sont illusoires. C'est ce qui fait dire au christ : " Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; le Fils de l'homme, lui, n'a pas où reposer la tête. " Matthieu VIII, 20.

Dès lors que nous considérons que le dépouillement matériel est le reflet, l'expression, la manifestation de ce dépouillement moral dont il est question jusqu'ici. Nous considérons que l'exercice moral conduit de la même manière à son expression matérielle. Le repos prépare donc ce dépouillement jusque dans le matériel.

Il est en ce domaine un écueil plus que probable à éviter. Il ne faut pas penser par ces termes que nous venons d'exposer que le but du repos et du dépouillement est le mépris de l'activité humaine sociale ou personnelle. Il s'agit simplement ici de prendre de la distance. Il s'agit de laisser le JE personnel s'assoupir pour laisser le JE humain s'éveiller. Le JE personnel veut toujours posséder ce que le JE humain possède déjà. Pénétrer le JE humain c'est jouir de tout ce que l'humanité possède déjà sans pour autant avoir à le posséder personnellement. Tel est le but du dépouillement : dépouiller la personne sans appauvrir l'humanité. Le repos est une attitude qui va donc faire une part à l'activité spirituelle au milieu de l'activité socio-culturelle. Et permet de prendre conscience, alors que le jeûne ne le permet pas, d'une nécessité de vie intérieure au sein de la vie extérieure. Il s'agira ensuite d'harmoniser les deux et de trouver un équilibre entre ces deux modes de vie.

C'est une des réconciliations que le Christ a accomplies pour nous. Il a réconcilié Caïn, le père des explorateurs de la vie extérieure, des cultures, Caïn le constructeur des villes, et Abel, le berger qui chante avec les anges les louanges au Seigneur et conduit sa vie sous le regard de Dieu. Jésus nous invite à Le considérer pierre angulaire, temple : outil et objet de construction, de culture humaine. Le pain qui deviendra son corps pendant l'épiclèse est le fruit de la culture des hommes. Et en même temps Il s'appelle berger. L'un cultive, l'autre garde.

Un autre écueil serait de penser, comme nombre de nos contemporains que vie intérieure = prière. Sortons tout de suite de cette ornière. Il y a des prières communautaires qui sont donc extérieures et construisent un tissu communautaire, social. Comme il y a en effet des prières plus personnelles et qui reflètent une certaine intériorité. Mais ne nous y trompons pas, ce ne sont pas non plus des prières intérieures, ce sont là des prières intimes. La seule prière intérieure est la prière du cœur, quelle que soit sa forme (c'est-à-dire, quelle que soit la phrase employée).

S'agissant de trouver une vie intérieure équilibrée entre ciel et terre, il est important donc de souligner qu'il ne s'agit pas de trouver un équilibre entre, disons, une vie de prière et une vie profane. Non, il s'agit d'un équilibre entre la participation à l’oeuvre divine et la participation à l’œuvre humaine dans le monde, ces deux modes de participations conjoints en une collaboration à l’œuvre de l’humanité cheminant vers la divinisation.

Mais revenons, après toutes ces digressions, à notre point de vue sur le repos. Le repos, pratiqué tel que défini dans ce chapitre, permet simplement de prendre conscience de la dimension d'une vie intérieure liée à l'esprit et liant l'homme à Dieu. L'équilibre entre la vie intérieure et la vie extérieure se fait à travers d'autres exercices (exercices de rythme de la vie intérieure et extérieure).


 

 

Lire la bible, méditer, contempler 

 

 

Lire la bible permet de recouvrer une mémoire complète. La bible est un autre point de vue historique pour l'humanité, qui intègre toutes les dimensions de l'homme et vivifie sa conscience. Que dire ? Elle contient les paroles que Dieu a prononcées pour l'homme et son édification. Ce n'est pas de pain seul que vivra l'homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu Matthieu IV, 4. Ce sont les paroles mêmes du Christ. Elles sont suffisamment éloquentes quant à l'influence des paroles de Dieu sur nos vies. Or, la bible les contient toutes.

 

 

Méditer n'est pas à prendre dans le sens des méditations des traditions orientales. La méditation est ici envisagé à la manière du psalmiste : quand je pense à toi sur ma couche, jusqu'au matin je médite sur toi, ou encore Heureux l'homme... qui a mis son plaisir dans la loi du Seigneur et la médite le jour et la nuit. Il s'agit de se laisser habiter par les paroles divines, par le Verbe Qui frappe à la porte.

 

 

La contemplation, pour ce qui nous intéresse ici, n'est pas encore la contemplation de la Trinité. Il s'agit de contempler n'importe quel 'tableau' issu de la création et de l'attribuer, ou plutôt de le restituer à Dieu. Les arbres ne sont pas issus du cosmos, même s'ils ont une appartenance cosmique. Ils sont des créatures issues de Dieu et qui appartiennent à Dieu. Contempler toute création en se rappelant qu'elle vient de Dieu et qu'elle y retourne. C'est ce mouvement qu'il faut contempler en toute chose pour faire naître ce sentiment en nous que tout vient de Dieu et tout y retourne. Ce sentiment installé en nous vivifie la joie et l'espérance.


 

 

Rendre grâce, louer Dieu, bénir

 

 

 

Rendre grâce pour ce que l'on a reçu. Songeons à notre mère Ève qui pouvait se nourrir des fruits de tous les arbres du jardin et qui s'est laissée dévorer par la passion pour le seul arbre dont le fruit lui était interdit. Rendre grâce permet de comptabiliser tout ce que nous avons reçu et d'oublier ce que nous n'avons pas reçu. Rendre grâce c'est comme comptabiliser ses trésors. La vie est une grâce, marcher est une grâce, respirer est une grâce, communiquer est une grâce, percevoir par les sens est une grâce, l'eau qui désaltère est une grâce, le soleil qui réchauffe est une grâce, l'amitié est une grâce... Rendre grâce pour toutes ces choses que nous avons reçues leur donne de la valeur, et déprécie jusqu'à faire oublier tout ce que nous n'avons pas reçu et que nous pourrions convoiter. Rendre grâce apporte de la joie, vivifie le sentiment de posséder en Dieu et endort en nous l'esprit de convoitise, participant avantageusement à l'instauration de la justice divine, sous forme de fraternité et de charité.

 

Louer Dieu est un acte gratuit. On rend grâce pour ce que l'on considère comme grâce reçue. On loue Dieu pour Lui-Même. En Le louant gratuitement nous L'imitons. Nous l'aimons gratuitement comme Il nous aime gratuitement. Rien ne L'a contraint à nous créer si ce n'est peut-être Son amour débordant. De même, si rien ne nous contraint de Le louer, la gratuité de cet acte fait déjà naître l'amour. Et puis louer Dieu invite à mesurer la valeur de nos propos lorsque nous vantons les mérites de tel ou telle, ou bien encore de soi-même, lorsque nous nous enthousiasmons pour les exploits de telle équipe sportive, de telle découverte scientifique, ou de telle prestation artistique démesurément communiqué par nos médias. Ici la louange agit comme un rempart à l'idolâtrie dans laquelle l'humanité sombre si aisément.

 

Bénir dans un acte libre de tout jugement. Notre société est vide de la conscience de l'intervention divine dans nos vies en particulier et dans la vie en général. Et en même temps elle forme, elle éduque  à préjuger de tout en dehors de Dieu. Il y a une expression qui court en ce moment et qui dit : Oh lala ! C'est pas gagné ! Cette expression, malgré tout l'humour dont elle est chargée, manifeste à quel point  notre environnement culturel, notre civilisation est loin de la grâce et de la bénédiction. Il y a seulement quelques décennies, devant une même situation nous aurions dit : « nous verrons bien, à la grâce de Dieu ».Ce « c'est pas gagné » est un jugement qui exclut toute intervention divine.  Par de telles expressions nous constatons que Dieu avec Sa puissance de restauration est chassé de nos mémoires et de notre décor quotidien. Nous cultivons Son absence. Nous exprimons la malédiction. Car, est-il pire malédiction que de promettre à un lieu, un temps ou une situation l'absence de Dieu ?

Bénir c'est appeler la puissance divine à réinvestir l'espace humain. Il faut bénir, tout et tous, sans porter de jugement sur les possibilités de... Évidemment Pour les hommes, impossible, mais non pour Dieu : car tout est possible pour Dieu. Marc X, 27. Au niveau pratique il ne faut pas non plus choquer. Il ne s'agit pas d'un affrontement. On peut bénir à voix basse, inaudible ou même intérieurement si l'on est en société. On peut bénir à voix haute si l'on est seul. Mais surtout il convient de tout bénir. Souvent les personnes non averties bénissent ce qui les émeut. Un beau paysage, le sourire d'un enfant, le petit chat qui ronronne... C'est souvent une manière de donner une continuité spirituelle à un mouvement intérieur de l'âme, et non de l'esprit. C'est un désir de l'âme d'emporter ces sensations dans l'éternité, car elles sont émouvantes et la nourrissent agréablement.

 

Bénissons ainsi oui. Mais bénissons surtout ce qui nous heurte, ce qui nous inquiète, ce qui nous révolte. Retournons nos jugements dans la bénédiction. Disons-nous que puisqu'à Dieu tout est possible, bénissons l'avarice d'un vieil avare égoïste en le nommant « homme de biens ». Bénissons les tempêtes puisqu'elles n'échappent pas à Dieu, bénissons-les alors afin qu'elles tiennent une place dans Son œuvre. Bénissons une journée qui commence, non pour qu'elle nous soit propice (ça c'est de la magie), mais pour qu'elle soit profitable à la création et à son élévation. Bénissons le progrès technologique et l'esprit de conquête de l'homme. Bénissons la décadence de l'art qui exprime la décadence des mœurs, car si l'on ne bénit pas le chaos, il ne conduira jamais qu'au chaos. Bénir ainsi c'est une preuve d'amour pour la création. C'est une manière de la relever sans cesse et de la remettre entre les mains de Dieu. Évidemment, Dieu est à l'œuvre tous les jours et Il relève la création sans avoir besoin de nos bénédictions. Ce ne sont pas nos bénédictions qui le contraignent. Mais bénir, c'est encore une fois participer, collaborer à cette élévation. Et cette collaboration vivifie intérieurement cette part angélique qui réside en l'homme, et contribue à donner à l'humanité toute sa mesure, toute sa dimension et contribue à parfaire l'œuvre de Dieu en l'homme.

 

L’attitude bénissante est si étrangère à notre société que je suis convaincu que le lecteur se demande comment la mettre en pratique dans la vie de tous les jours. Jésus Christ, notre Salut, qui connaît si parfaitement le cœur des hommes, nous a laissé en héritage l’illustration et la simplicité de cette pratique par la bouche de ses apôtres, Il nous enseigne : « bénissez, ne maudissez pas » Paul Romains XII, 14. Et aussi « ne rendez pas mal pour mal, insulte pour insulte.  Bénissez, au contraire, car c'est à cela que vous avez été appelés, afin d'hériter la bénédiction. » Pierre dans sa première Epître chapitre III, verset 9.

 Si donc on se demande comment et à quelle occasion bénir, il s’agit simplement pour nous de devenir bénissant partout où naturellement nous maudirions.

L’attitude bénissante est une attitude primordiale chez le chrétien. Dieu s’est incarné en Christ afin de racheter l’humanité pécheresse ET de transformer sa nature dans la communication du Saint Esprit. La bénédiction remplit ce rôle de transformation de l’humanité par la transformation de la justice des hommes.

 

       

Conclusion


Jeûne, silence et repos libèrent un espace intérieur.

Lire la bible, méditer, contempler occupent, habitent cet espace libéré.

Rendre grâce, louer et bénir agissent au sein de cet espace habité.

Le tout dans la sobriété et sous le regard de Dieu, ranimant la flamme de la crainte de Dieu et repoussant la prétention loin de notre cœur.

Ces neuf activités sont nécessaires à notre éveil. Les neuf sont indispensables entre elles, tout comme les neuf sphères angéliques se soutiennent et se copénètrent les unes et les autres.

Après avoir fait lever la fille de Jaïre, Jésus Christ, Notre Sauveur, recommanda bien à sa famille de la nourrir. C'est bien de la nourriture de cet être qui s'éveille spirituellement dont il a été question tout au long de cet exposé.

 

Que ce programme agisse en nous à la manière des paroles du Christ : Talitha koum ! Et que nous soyons vivifiés dans la jeunesse éternelle de l'église.

 

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